livre La Consistance rationnelle par Patrick Peccatte
Introduction

La démarcation  

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Wittgenstein demandait dans les Investigations philosophiques "en quel sens la logique est-elle quelque chose de sublime ?". Le positiviste impulsif rétorque immédiatement que la science, dans son ensemble, n'est pas sublime. Le philosophe plus circonspect ne peut cependant se satisfaire de cette intuition lapidaire dont seule la forme négative est évidente. Le terme sublime a-t-­il trait à la métaphysique ? Est-il comme certains l'avancent de l'ordre du spirituel ? Ou bien se rapporte-­t-il à la hiérarchie des constituants de la représentation occidentale du monde (où la science est un tel constituant au même titre que la philosophie et la technique auxquelles elle se réfère souvent - et dont l'une d'ailleurs serait sublime et l'autre non) ? Veut-on signifier l'enracinement empirique de la science ? Son caractère immanent ? Ses liens "vulgaires" avec les techniques ? Ou souhaite-­t-on plutôt qualifier sa condition historique inachevée et incomplète, la nature toujours réfutable et perfectible de ses énoncés ? Son opposition résolue aux doctrines irréfragables ? Son "humanité" en somme... En bref, quelle est donc cette science qui serait en rivalité avec une forme de pensée ordinairement qualifiée de métaphysique ?

Cet essai aborde ces multiples questions enchevêtrées.

Il ne nécessite pas de connaissances philosophiques ou scientifiques très étendues bien que les développements qu'il comporte supposent une certaine familiarité avec les sciences, leur histoire et leur philosophie.

La première partie étudie dans le chapitre I quelques notions et concepts fondamentaux. L'ensemble du texte gravite autour du concept positiviste de démarcation entre science et non-­science et expose différentes solutions à ce problème ainsi que les difficultés théoriques rencontrées par ces solutions. Bien que son propos ne soit pas explicitement didactique, j'estime que cet exposé est suffisant pour comprendre et appréhender la pensée (ou la raison) démarcative, c'est-à-­dire, le point de vue qui privilégie la question " Est-­ce une science ou non ? " sur toute autre interrogation d'ordre épistémologique.

Le deuxième chapitre traite de notre façon d'aborder le problème de la démarcation. La méthode figurative d'exploration des marges de paradigmes y est introduite. Elle conduit à transformer la question centrale de la pensée démarcative en étude d'un ensemble de situations démarcatives empruntées à la fois aux sciences et à certains domaines non ­scientifiques qui expriment des prétentions cognitives ou explicatives.

La seconde partie est un ensemble d'études de cas où sont abordés, à la lumière des idées dégagées précédemment, quelques aspects controversés de diverses disciplines:

Cet essai n'est pas un pamphlet de plus contre le positivisme. Je mesure en particulier l'importance de l'héritage que nous a légué le néopositivisme, l'incarnation la plus récente de ce courant philosophique. Le concept de critère de démarcation par exemple est issu de la critique du dogme de la signification dans l'empirisme logique. Il s'est progressivement dénaturé depuis son introduction par Karl Popper dans les années trente. La philosophie contemporaine a reconnu que la formulation d'un critère effectif est une tâche impraticable. Elle a donc essentiellement retenu la substance théorique faillibiliste du critère poppérien, la réfutabilité. Le problème démarcatif lui-­même, par contre, est parfois considéré comme tacitement résolu par un subtil dosage de thèses faillibilistes et paradigmatiques. La plupart du temps cependant, il est délibérément ignoré ou tenu pour caduc - ­ voire inintéressant -­ sans que l'on tente d'expliquer son caractère attractif et pratiquement inévitable (même après l'avoir débarrassé de tout positivisme trop manifeste). Notre travail vise dans l'immédiat à mettre en évidence la complexité inhérente aux problèmes traités par une pensée démarcative simplificatrice ou tacite. Si nous critiquons constamment la pensée démarcative, les problèmes abordés n'apparaissent toutefois nullement insignifiants. Ils demeurent persistants et quelquefois rebelles à une approche non positiviste. Plus substantiellement, nous montrons à quelles approximations ou contradictions inextricables, tant théoriques (première partie) qu'exemplaires (seconde partie), conduit le projet implicite de la pensée démarcative - et pas uniquement le projet explicite du positivisme logique. Il reste ensuite à rendre intelligible l'attrait irrépressible d'une certaine forme de pensée démarcative sur la philosophie de la connaissance. Nous concluons donc en suggérant une voie de réflexion qui permette de substituer la notion informelle de consistance rationnelle fondée sur un principe de non contradiction épistémique à celle de démarcation qui relève d'une sorte de tiers exclu épistémologique quasi ­formel. Nous tentons ainsi de comprendre, sans y souscrire, l'attirance du projet positiviste inhérent à la pensée démarcative.

Au cours de cette étude nous abordons bien d'autres problèmes que ceux liés à la démarcation. La plupart de ces questions sont au moins aussi riches de développements et je souhaite simplement que leur évocation ici, si elle n'est utile qu'à cela, persuade le lecteur que la philosophie des sciences ­ comme toute philosophie qui se conçoit affranchie de cette fâcheuse tendance à se commenter elle-même, interminablement, ­ est bien vivante et par là toujours à recommencer.

P. P.

© Aubin éditeur, 1996


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